Le 1er août 2020, Adrien Taquet, Secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles, déclarait « il faut que nous affirmions clairement, en tant que société, que l’impunité des relations sexuelles avec les mineurs, c’est fini. » En France, 165 000 mineur.e.s sont victimes de viols ou tentatives de viols chaque année.

Pour s’attaquer à ce phénomène d’ampleur et pourtant tabou, le gouvernement a annoncé la création d’une commission indépendante sur les violences sexuelles faites aux enfants et des Etats généraux de l’Enfance en Danger qui auront lieu cet automne. L’un des enjeux majeurs pour protéger davantage les enfants contre les pédocriminels concerne l’instauration d’une présomption de non-consentement sexuel pour les mineurs.

Que dit la loi en France ?

Le viol est un acte de pénétration sexuelle commis sur une victime avec violence, contrainte, menace ou surprise. L’agression sexuelle est un acte sexuel sans pénétration, commis par violence, contrainte, menace ou surprise. L’atteinte sexuelle désigne tout comportement en lien avec l’activité sexuelle (avec ou sans pénétration) adopté par un majeur à l’encontre d’un mineur de moins de 15 ans, sans qu’il y ait violence, contrainte, menace ou surprise. « Viol », « agression sexuelle » ou « atteinte sexuelle » : trois mots pour qualifier trois réalités juridiques différentes. Les sanctions encourues, si elles concernent un mineur de moins de 15 ans, sont respectivement de 20 ans, 15 ans ou 7 ans d’emprisonnement.

Deux caractéristiques sont donc primordiales pour qualifier l’infraction :

  • pénétration ou absence de pénétration

  • circonstances de violence, contrainte, menace ou surprise.

De fait, le Code pénal considère qu’une relation est consentie quand on ne peut pas prouver que l’acte sexuel a été commis avec au moins une des quatre circonstances précitées. Avec la notion d’atteinte sexuelle, la justice française reconnait implicitement que les enfants peuvent être consentants à des rapports sexuels avec des adultes, y compris en cas de pénétration !

« Atteinte sexuelle sur mineurs » : une notion problématique

Pour renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes avait fait ajouter en 2018 un nouvel article au Code pénal. L’article 222-22-1 précisait que « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. » Malheureusement, cette proposition n’a pas abouti.

Pourtant, de nombreuses affaires, avant et après la loi Schiappa, ont donné lieu à des jugements iniques qui ont bouleversé l’opinion publique en raison de leur caractère particulièrement choquant. En 2017, Sarah, une petite fille de 11 ans avait suivi à la sortie du collège un homme de 28 ans jusqu’à son domicile. Celui-ci lui avait imposé une fellation et un rapport sexuel. Justine, âgée de de 11 ans également, était tombée enceinte après avoir été violée dans un parc par un homme de 22 ans. Elle avait accouché à 12 ans d’un enfant confié par la suite aux services sociaux. Dans ces deux affaires, les agresseurs n’ont pas été poursuivis pour viol en l’absence de contrainte, menace, violence et surprise ou parce qu’il n’était pas possible de caractériser le manque de discernement de l’enfant…

Plus récemment, Julie, une adolescente violée entre ses 13 ans et ses 15 ans par une vingtaine de pompiers (dont plusieurs viols en réunion) attend toujours, 10 ans après les faits, que ses agresseurs soient jugés et condamnés. Si 17 auteurs présumés n’avaient même pas été mis en examen, 3 autres pompiers étaient bien poursuivis pour viol. Retournement de situation en juillet 2019, un juge d’instruction a requalifié l’affaire en « atteinte sexuelle », ce qui démontre une nouvelle fois les dysfonctionnements de notre système judiciaire. D’autant plus que cette jeune fille était en grande détresse psychologique et sous traitement médicamenteux, ce dont avaient connaissance ses violeurs. Le délibéré est attendu le 12 novembre 2020…

Les enfants victimes jugés comme « consentants »

Les magistrats restent souverains pour évaluer les notions de vulnérabilité et de discernement chez les victimes mineures. Méconnaissant les phénomènes de sidération et de dissociation, certains jugent l’attitude et le comportement des enfants, leur apparence physique ou encore leur « maturité sexuelle », et considèrent qu’ils ont été « consentants ». Cela revient à nier le statut de victimes aux enfants ayant subi des viols ou des agressions sexuelles puisqu’on sous-entend qu’ils étaient d’accord, qu’ils savaient ce qu’ils faisaient voire qu’ils l’auraient « cherché ».

Ces enfants seraient coupables d’avoir suivi docilement des inconnus, de ne pas s’être débattus, ils n’auraient pas protesté, paraîtraient plus âgés ou bien auraient fait preuve de curiosité sexuelle sur des réseaux sociaux… Ces arguments récurrents dans la défense des agresseurs sont validés par la justice dès lors que les faits sont qualifiés d’« atteinte sexuelle » ou non poursuivis. La violence symbolique du procès et du jugement s’ajoute à l’horreur déjà subie de ces enfants dans la négation de leur dignité et leur intégrité.

Pourquoi instaurer un seuil d’âge minimal de consentement ?

Alors que seulement 4% des viols et tentatives de viols sur mineur.e.s font l’objet de plaintes, celles-ci entraînent dans la majorité des cas des classements sans suite, des requalifications en atteinte sexuelle ou encore des non-lieux ou des acquittements. CAMELEON ainsi que de nombreuses associations sont mobilisées depuis plusieurs années pour l’instauration d’un seuil d’âge minimal de consentement à 15 ans (18 ans en cas d’inceste ou de handicap). Le président de la République, Emmanuel Macron, s’y était même déclaré favorable en 2017. 

Il faut instaurer dans la loi un âge en-dessous duquel les enfants seraient automatiquement considérés comme non-consentants à des rapports sexuels avec des majeurs. L’agression sexuelle ou le viol seraient caractérisés du fait de l’âge de la victime, sans avoir à rechercher des éléments de violence, contrainte, menace ou surprise. L’auteur présumé pourrait être poursuivi sans que le « consentement » ou le « discernement » de la victime soit invoqué pour nier ou décriminaliser les faits.

La France doit prendre ses responsabilités !

Cette disposition juridique, protectrice pour les mineurs, est mise en place dans de nombreux pays mais inexistante en France. Le seuil d’âge minimal au consentement sexuel est de 14 ans en Allemagne, 15 ans au Danemark, 16 ans en Angleterre et en Espagne… aux Philippines également, il est sur le point d’être relevé de 12 à 16 ans ! Alors que les victimes de violences sexuelles sortent progressivement du silence, le nombre de personnes condamnées pour viol a diminué de 40% en 10 ans ! (Source : Infostat du ministère de la Justice, 2018). Proclamer dans la loi que des enfants ne peuvent consentir à être des objets sexuels pour des adultes, c’est reconnaître qu’ils ne sont jamais responsables des agressions subies et permettre leur reconstruction. C’est mettre fin au sentiment d’impunité des pédocriminels.

Adrien Taquet déclarait en début d’année : « la violence faite aux enfants doit être le combat qui nous réunit pour cette décennie 2020. Il en va de notre responsabilité, de notre dignité en tant que Nation aussi. » Il est inacceptable que tant d’enfants soient victimes de violences sexuelles, puis de déni par la justice. Deux ans après la loi Schiappa qui a échoué à protéger les enfants, nous appelons le gouvernement à respecter ses engagements et prendre position clairement contre la pédocriminalité lors des Etats généraux de l’Enfance en Danger. Un enfant n’est jamais consentant !

Justice pour Julie, Sarah, Justine et toutes les autres petites victimes de l’ombre. Les mentalités ont évolué et la société ne tolère plus qu’on meurtrisse ses enfants. Un sondage publié par Ipsos en 2018 révélait que 80% des personnes interrogées étaient favorables à la mise en place d’un seuil d’âge de consentementIl est temps que les pouvoirs publics et les lois soient à la hauteur. Ce n’est pas une question d’époque ou de mœurs mais de civilisation.