La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a été créée en janvier 2021 pour prévenir les violences sexuelles, mieux protéger les enfants victimes et lutter contre l’impunité des agresseurs. Elle a lancé un appel à témoignages national et organise des rencontres dans plusieurs villes de France pour aller à la rencontre des victimes, de leurs proches et des acteurs de terrain. Un an après, quels sont ses constats ?

Présentation de la Ciivise et de sa mission

Ce dispositif a été mis en place par le gouvernement dans un contexte de libération de la parole qui a permis une prise de conscience collective de l’ampleur et de la gravité des violences sexuelles sur mineurs. La Civiise mènera des travaux pendant deux ans pour évaluer les politiques publiques et formuler des recommandations afin de permettre à la France de « s’engager de manière déterminée pour une protection des mineurs, par l’instauration d’une culture de la prévention et de la protection. »

La Ciivise est pluridisciplinaire et co-présidée par Edouard Durand, magistrat et expert de la protection de l’enfance, et Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru qui prend en charge des jeunes filles victimes d’inceste dans une maison d’accueil spécialisée. Elle est composée de 27 membres : des expertes et des experts issus de différents horizons professionnels, de victimes et d’associations de victimes. 

L’appel à témoignages : écouter les victimes et identifier des solutions

La Ciivise a lancé en septembre 2021 un appel à témoignages pour :

  • permettre à des adultes victimes dans leur enfance ainsi qu’à leurs proches de témoigner pour protéger les enfants d’aujourd’hui et de demain,
  • proposer aux victimes un accompagnement et une orientation adaptés à leur situation.

En seulement deux mois, elle a pu recueillir près de 8 000 témoignages d’adultes victimes de violences sexuelles ou d’inceste lorsqu’ils étaient enfants, dont 10% ont parlé pour la première fois de ce qu’ils avaient subi. Les victimes qui ont témoigné sont dans 90% des cas des femmes et la grande majorité d’entre elles ont été agressées au sein de leur famille (80%).

Ces témoignages permettent à la Ciivise de repérer les mécanismes des violences, la stratégie des agresseurs et la réponse des institutions. C’est à partir du vécu des victimes que la Commission identifiera et préconisera des solutions pour améliorer la protection des enfants contre ces violences. 

Il existe plusieurs modalités pour témoigner :

Par téléphone du lundi au vendredi de 10h à 19h au: 0 805 802 804 (Appel gratuit)

Par mail : temoignages@ciivise.fr

Par courrier : CIIVISE, 14 avenue Duquesne – 75007 Paris

En répondant à un questionnaire en ligne : ICI

A savoir : la Ciivise n’a pas vocation à se substituer à l’institution judiciaire et aux autorités administratives. Les témoignages recueillis dans le cadre de l’appel à témoignages le seront dans le respect des articles 434-3 du Code pénal, qui font obligation à la commission d’informer les autorités judiciaires de toutes les agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur dont elle a connaissance, ainsi que de tout viol commis sur un majeur dont l’auteur serait susceptible de commettre de nouveaux viols qui pourraient être empêchés.

Le fléau de l’inceste et des violences sexuelles sur mineurs en France

L’appel à témoignages répond aussi à un troisième objectif de sensibilisation et de formation : connaître et faire connaître l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants, leurs mécanismes et leurs conséquences et y sensibiliser la société ainsi que les professionnels au contact des enfants.

D’après une estimation de la Ciivise, 160 000 enfants subiraient des violences sexuelles en France chaque année (Sources : analyse croisée des enquêtes Contexte de la sexualité en France et Cadre de vie et sécurité VIRAGE de l’INED). Pourtant, en 2020, seules 1 697 personnes ont été poursuivies pour viol incestueux sur mineur ou pour agression sexuelle sur mineur, quel que soit le lien de parenté avec la victime. Et en 2018, seules 760 personnes ont été condamnées pour l’une ou l’autre de ces infractions.

La majorité des violences sexuelles sur mineurs ne sont pas portées à la connaissance des autorités, et lorsqu’elles le sont dans le cadre d’un dépôt de plainte, 70% aboutiront à un classement sans suite. Comprendre les causes de ce taux et identifier les besoins des professionnels pour le réduire sont une priorité pour la Ciivise. « Cette réalité interroge l’autorité judiciaire dans sa capacité à protéger les enfants efficacement, et interroge ainsi la société dans son ensemble. » La Ciivise a rendu son premier avis le 27 octobre 2021 pour mieux protéger les enfants en cas d’inceste (découvrez notre article concernant les recommandations).

100% des victimes qui ont témoigné auprès de la Commission considèrent que « la société ne protège pas assez les enfants ». 

Pour la Ciivise, « plus on est en capacité d’identifier des conséquences spécifiques des violences sexuelles vécues dans l’enfance, plus on va pouvoir fournir aux professionnels, notamment de santé, des grilles d’analyse et des signaux d’alerte. » Il faudrait à la fois une législation et des pratiques professionnelles plus protectrices pour protéger les victimes et faire reculer l’impunité des agresseurs.

Manque de soutien, isolement et souffrance des victimes

Les violences sexuelles sont d’une extrême gravité pour les enfants qui les subissent. Les travaux de la Commission montrent l’importance des conséquences à long terme, et notamment traumatiques, pour les victimes :

  • près de neuf victimes sur dix déclarent que les violences sexuelles ont eu un impact négatif sur leur confiance en elles et sur leur santé psychologique,
  • une victime sur trois rapporte avoir déjà fait une tentative de suicide,
  • les victimes d’inceste expriment aussi leur vulnérabilité à la violence, avec un risque de revictimisation. Six femmes sur dix et près de quatre hommes sur dix ont subi d’autres types de violences au cours de leur vie (dans le couple, au travail, dans l’espace public, au cours de leurs études). Ces personnes ne se disent pas soutenues par la société pour les protéger.

Sept victimes sur dix qui ont parlé des violences l’ont fait plus de dix ans après les faits et pour quatre victimes sur dix qui ont révélé ces violences, le confident n’a rien fait. Une victime sur deux qui n’a pas parlé des violences déclare ne pas l’avoir fait par honte, culpabilité, peur des réactions de l’entourage, de la procédure…Par ailleurs, une victime sur deux dit n’avoir bénéficié d’aucun accompagnement psychologique.

Pour en savoir plus :